
Il y a quelques années, je découvrais la chanson Closing Time de Semisonic. Elle comporte une phrase émouvante, qui décrit bien la complexité émotionnelle inhérente aux grandes transitions dans la vie : « Every new beginning comes from some other beginning’s end. » – Chaque nouveau commencement provient d’un autre commencement qui s’achève. Cela résume bien la raison pour laquelle on se sent souvent ambivalent durant une période de transition : on fait le deuil du chapitre de notre vie qui se termine, tout en s’engageant dans le nouveau. Ce sentiment n’est pas rare chez les aînés qui ont décidé de quitter la maison où ils ont toujours vécu pour s’installer dans une résidence pour retraités, ou qui y songent.
Même quand une personne est bien consciente qu’il est dans son intérêt de déménager dans une résidence pour retraités, elle peut se trouver aux prises avec des émotions contradictoires. Sa maison et ses biens sont liés aux souvenirs de toute une vie, son rythme de vie est familier et rassurant, et elle doute alors de sa capacité à trouver le bonheur dans un nouvel endroit. Ces considérations peuvent entrainer de la tristesse et de l’appréhension, souvent mêlées à l’excitation et à l’espoir associés aux nouvelles possibilités offertes dans ce chapitre qui s’ouvre.
C’est bien ce qui caractérise les émotions : elles ne sont pas clairement délimitées, et il est plutôt rare qu’on en ressente qu’une seule à la fois! Il peut être utile de les imaginer comme une tarte coupée en parts inégales. Ces parts peuvent représenter l’enthousiasme, la peur, la tristesse, les regrets, l’angoisse ou l’espoir… Durant une transition, la taille des parts peut varier, souvent de manière inattendue. Parfois, c’est l’excitation qui l’emporte, et l’instant suivant, la tristesse. La représentation des émotions sous forme de parts de tarte nous rappelle qu’il est normal de ressentir plusieurs émotions contradictoires à la fois.
Dans mon expérience auprès de mes clients, j’ai pu observer que ces émotions embrouillées et changeantes causent parfois des tensions entre les enfants adultes et leurs parents. L’enfant se concentre souvent sur les aspects pratiques du déménagement, sans mesurer tout à fait les répercussions émotionnelles de l’événement pour le parent. En outre, alors que ce dernier passe par toute une gamme d’émotions, chose fréquente en période de transition, l’enfant est peut-être occupé à l’aider à se débarrasser du superflu, de participer à la vente de la maison familiale ou de visiter des résidences avec lui pour trouver celle qui lui conviendra le mieux. Habituellement, il lui faut intégrer ces tâches à une vie déjà chargée, et il n’aura pas toujours beaucoup de temps pour s’assurer que le déménagement se déroule harmonieusement. De plus, selon la raison du déménagement, l’enfant est souvent inquiet pour la sécurité du parent, et est donc empressé de le voir bien installé dans une résidence.
Tous ces éléments peuvent naturellement donner lieu aux malentendus et au sentiment de ne pas être écouté ou compris. L’enfant se concentre sur les questions pratiques, et le parent sur le contrecoup émotionnel : des deux côtés, on peut finir par se sentir désemparé. Vous reconnaissez votre famille dans cette situation? Alors vous vous demandez peut-être ce qui pourrait faciliter les choses. Essayez de vous mettre à la place de l’autre personne. Si vous êtes un enfant adulte et que votre parent déménage, prenez le temps de réfléchir à l’effet de ce changement sur lui, au plan émotionnel. Si c’est vous qui partez habiter dans une résidence, tentez de comprendre les aspects concrets du déménagement que votre enfant doit gérer, et demandez-vous s’il s’inquiète pour votre sécurité.
Il peut se passer des choses incroyables, quand on s’arrête pour voir le monde du point de vue d’une autre personne : un comportement qui semblait irritant ou illogique peut soudainement prendre tout son sens et entrainer de la compassion. Cette empathie permet alors d’entamer une conversation essentielle sur comment faciliter la transition pour tous.